L'édition
2014 des Jeux Olympiques d'hiver, qui se déroulent depuis deux semaines
à Sotchi, ville et station balnéaire du krai de Krasnodar, arrivent à leur terme dans quelques heures. La
cérémonie de clôture aura lieu ce soir à 20 h, heure locale (UTC/GMT +
04:00) et tournera une nouvelle page de cette compétition d'inspiration
nordique qui rend hommage aux sports d'hiver depuis 1924, soit 90
ans tout rond.
Au-delà de quelques embrouilles d'ordre folklorique, comme la polémique entourant la médaille d'or de la patineuse
Adelina Sotnikova, le report de certaines épreuves pour cause
de brouillard intempestif, ou encore le fouetté cosaque de
Pussy Riot,
la compétition se sera finalement déroulée dans une bonne ambiance et
sans incident majeur. Pourtant, le pari était plus que risqué pour
plusieurs raisons, soulevées avec plus ou moins de sincérité par une partie de la presse occidentale. Les principaux griefs
avancés par celle-ci s'articulaient sur trois axes majeurs :
1) Le caractère antidémocratique du pouvoir en Russie.
2) L'incompatibilité géographique de la région de Sotchi avec les sports d'hiver.
3) L'utilisation de cet évènement comme vitrine géopolitique au service de Vladimir Poutine.
Si
ces arguments peuvent convaincre, en théorie, il est nécessaire de les appréhender dans le contexte actuel en commençant par la réalité du terrain. Sur la carte suivante, les cercles de
couleur rouge représentent les zones de conflit, le cercle de couleur
verte représente le site des Olympiades :
Quelques conclusion peuvent êtres d'ores et déjà formulées, en bref et de façon non exhaustive :
+ La Syrie
est en guerre depuis 2011 pour les uns et la Russie compte parmi les alliés du régime.
+ Le Liban est
indirectement impliqué dans cette guerre et est victime
d'attentats à une cadence soutenue depuis fin 2013. La position Russe va de neutre à accomodante.
+ La Turquie est
directement impliquée dans cette guerre. Son gouvernement a dû faire face à de
violentes manifestations de la société civile et doit désormais faire face aux retombées d'un
scandale politico-financier de grande ampleur. Les deux pays entretiennent une relation d'antagonisme cordial.
+ La Géorgie est dans une situation particulière depuis 2008, deux de ses provinces ayant été
reconnues unilatéralement comme indépendantes par la Russie. Le conflit est en suspens.
+ L'Ukraine file tout droit vers une guerre civile suite
au débarquement du président, hier, 22 février 2014 (on admirera le timing du pic de la crise avec les J.O.). La Russie a clairement pris position contre l'Europe et les États-Unis sur ce dossier.
+ Les
attentats de Volgograd, survenus quelques semaines avant le début des J.O. sont une conséquence directe
de la guerre secrète que se sont déclaré Saoudiens et Russes en marge du conflit syrien.
Le
point commun entre ces conflits réside donc dans l'implication de l'axe atlantiste d'un côté, des Russes et de leurs alliés de l'autre. Les
premiers utilisent des mouvements de contestations populaires pour les
détourner à leur avantage, les seconds aident les dirigeants plus ou
moins légitimes à renforcer leur blindage. Vous remarquerez la position très centrale
de Sotchi sur cette carte.
Pour parachever la compréhension du problème, il est nécessaire de considérer également la carte suivante ainsi que
le blog de son auteur, Rafael Kandiyoti, ingénieur chimiste et professeur à l’Imperial College de Londre.
En
clair, il ne s'agit pas ici de chercher à savoir qui est dans son droit par rapport à l'autre, ni de développer la problématique de l'exploitation des
ressources et leur acheminement, mais plutôt de se donner les moyens,
sans sombrer dans la paranoïa compulsive, d'analyser calmement certaines
méta-données du problème, afin de commencer à
comprendre pourquoi telle ou telle presse ou pouvoir politique prendra
telle ou telle position tranchée sur un dossier donné sans chercher à
approfondir sur le sujet.
Pour en revenir
aux arguments opposés par cette même presse pour critiquer les Jeux
Olympiques d'hiver de Sotchi, voici ce que l'ont pourrait faire
remarquer à leurs auteurs :
1)
Sur le caractère anti-démocratique de la Russie
: Certes, la pirouette de Vladimir Poutine, ancien membre du KGB,
pour réintégrer son costume de président sans abîmer la constitution
russe est un modèle
du genre. Ceci dit, l'Union Européenne, de son côté, courcircuite allégrément la volonté populaire par le biais des directives émanant de sa Comission, dont les membres son nommés et non élus.
2)
Sur l'incompatibilité de la région de Sotchi avec les sports d'hiver
: Cet argument est à double tranchant pour toute presse alignée qui
s'en prévaudrait, dans la mesure où la décision de confier l'édition
2022 de la Coupe du Monde de Football au Qatar avait tout au plus donné
lieu à un menuet de protestations mesurées. Or, si Sotchi a
effectivement dû abuser du canon à neige pour tapisser ses pistes, la
faute à la
douceur naturelle de son climat, il est question, pour le Qatar de construire de stades climatisés (!) voire même de
décaler toutes les compétitions
annuelles de football à travers le monde pour permettre à cet évènement
de se dérouler en hiver (!!). Dénoncer l'un en oubliant l'autre pose
donc un sérieux problème de cohérence.
3)
Ces jeux sont une vitrine géopolitique au service de Vladimir Poutine : Les deux cartes présentées plus haut démontrent bien que les enjeux
politiques de la région dépassent largement le cadre d'une simple
manifestation sportive, fut-elle olympique. Le choix de Sotchi corrobore
en effet la volonté du gouvernement russe de créer un nouveau pôle dans
le Caucase en profitant de la manne faramineuse qui se cache derrière
le contrôle des flux d'énergies fossiles dans la région. Cet argument
nie aussi la dimension éminemment géopolitique des Jeux Olympiques
depuis leur création pendant l'Antiquité.
Je terminerai en alertant le lecteur sur
cet article du Nouvel Obs, rédigé au lendemain des festivités d'ouverture des Jeux, avec un titre pour le moins militant ("
SOTCHI 2014. Pollution, corruption, expropriations : ces JO sont une farce, ignorons-les.") ainsi qu'une menace à peine déguisée en conclusion : "A vous de choisir votre camp."
Pour
ma part, je m'autorise simplement à rappeler que ce n'est pas avec les
tripes qu'on a inventé le schmilblick et invite tout un chacun à prendre
du recul avant de sauter sur une quelconque conclusion, surtout quand
votre interlocuteur, fut-il un organisme de presse, mélange allègrement
Logos et Pathos.
Philippe HAGE BOUTROS
Photo : Extrait de la cérémonie d'ouverture des jeux.
Contexte : Les Jeux Olympiques de Sotchi arrivent à leur
terme, libérant ainsi les mains du gouvernement russe dont les
observateurs attendent désormais la réponse sur le terrain sur les
dossiers syrien et ukrainien. Rappelons que la plupart des dirigeants
occidentaux impliqués dans ces deux conflits ont boycotté la
manifestation, ce qui n'a pas empêché leurs athlètes de briller sur le
plan sportif.